( IL SAGGIO ) Eros
et sacré
«Quil
me baise des baisers de sa bouche car ses étreintes sont meilleures
que le vin
» (Cantiques des cantiques). Dans un monde arabo-musulman trop souvent hélas ! perçu à travers le prisme déformant de lislamisme radical ou de la violence, il est nécessaire de rappeler la place exceptionnelle que cette immense civilisation à travers sa littérature et ses arts, voire ses textes sacrés et sa jurisprudence a parfois accordée aux thèmes de lamour et de la sexualité. Si, aujourdhui, on ne retient que lextrême rigueur des murs, la perpétuation dun ordre androcentré, dune attitude excessivement moralisatrice, voire sexiste, ou encore loppression imposée aux femmes par des courants et des Etats néofondamentalistes (des talibans aux wahhabites), on ne saurait oublier lautre visage de lislam : lérotisme dune partie non négligeable de sa littérature et de sa poésie, sa légitimation du plaisir et du désir, le raffinement et la liberté avec lesquels le sujet de la sexualité fut abondamment abordé. Les Occidentaux qui découvrirent les sociétés musulmanes furent en effet tous fascinés (ou scandalisés) par une foi qui vénère ouvertement le désir, une tradition qui voue un véritable culte au corps, au souci de soi, à la satisfaction des sens et des plaisirs considérés comme des dons de Dieu. Ni lamour ni la sensualité, ni la jouissance charnelle ni lenchantement des corps et des sens ne furent stigmatisés. Au contraire, du Coran, texte révélé qui nélude nullement la problématique des relations entre sexes, du parcours dun Prophète qui nhésitait pas à réfléchir, à haute voix, mais aussi avec beaucoup de pondération, de réalisme et de subtilité, aux thèmes du désir et de la jouissance charnelle, à lélégie orgiaque qui fonde les Mille et Une Nuits, des Grandes Odes de la poésie anté-islamique (al-Muallaqât) aux Hadîths des exégèses, des Maqâmât aux traités soufis ou encore aux nombreux manuels dérotologie tout un art daimer a jalonné la culture islamique : arabe, persane, turque, etc. Et, en ce qui concerne la situation actuelle de la femme, qui focalise tant les préjugés mais aussi, et surtout, les combats pour lémancipation , il convient de se défaire de toute vision essentialiste dune religion qui surdéterminerait les comportements des musulmans. Dun pays à lautre, dune époque à lautre, dune classe sociale à lautre, le statut de la femme, ses droits et son mode de vie varient considérablement. En outre, loin dêtre un tout compact et uniforme, les sociétés musulmanes comme toutes les sociétés du monde sont composées dindividus attachés à la vie, à la liberté, au plaisir et à lamour. Dans ce domaine comme dans dautres, point nest besoin dinsister sur labsolue exigence méthodologique suivante : se garder de toute lecture essentialiste et anhistorique de la religion. Le credo religieux est loin de surdéterminer partout et en tout temps les manières de penser, les jugements et les comportements des musulmans. De Damas à Sarajevo, en passant par Samarkand ou Istanbul, le droit doit constamment innover (Ibdâ) pour tenir compte de réalités locales extrêmement diverses. Il convient, surtout ici, de rejeter ces images dEpinal, caricaturales à lexcès, qui réduisent le rapport de la civilisation islamique à la question de lamour et de la sexualité aux couples binaires : frénésie orgiaque et ascétisme absolu, plaisir paroxystique et relégation de la femme, copulation et Djihâd ! Les réalités des sociétés musulmanes, nécessairement plurielles, subtiles et évolutives, recouvrent un immense éventail dattitudes. On na pas simplement, dun côté, les talibans et leur système de terreur et denfermement des femmes (interdiction de séduquer, de se soigner ou de se divertir, viol et lapidation des téméraires qui osent sortir sans burqa), et de lautre, la danse du ventre des night clubs pour jeunesse dorée ; dun côté, les fatwas interdisant des uvres littéraires universelles, stigmatisant le principe de plaisir, ou tentant de légitimer (comme dans les maquis des gia notamment) le viol barbare, voire le meurtre, des mères, filles et fillettes enlevées à leurs familles (Zawâj al-Mouta) et de lautre, cet âge dor (désormais révolu) des jardins et des harems, des parfums et des épices, de lébullition des sens et des étreintes, le temps par exemple des Abbassides à Bagdad (8e11e siècle) en particulier, sous le plus illustre de leurs califes : Haroun al-Rachid (766-809) ! Une religion aux antipodes de lascétisme Aux yeux de la plupart des islamologues, lislam reste la religion qui a probablement abordé le thème de la sexualité avec le moins de tabous et le plus de liberté(1), une religion qui consacra une large part de son intérêt aux plaisirs charnels, voua un véritable culte à la jouissance, exalta le corps, et vénéra le désir considéré comme un don divin. Aussi, chez de nombreux jurisconsultes et théologiens, lamour était-il considéré comme une obligation ; il devait saccomplir au nom de Dieu, afin dengendrer certes, mais aussi pour jouir ; le concept qui signale le mariage religieux (nikâh) nest-il pas celui-là même qui désigne le coït ? Cest même le coït qui est la raison principale du mariage ! Le plaisir charnel et sensuel fut donc, en tout temps, célébré pour ne pas dire vivement recommandé par la tradition musulmane, dès lors insisteront les gardiens jaloux de lordre et des normes religieuses quil sinscrit dans le cadre dune union légitime. Ainsi que le rappelle Aziz al-Azmeh notamment, si lon excepte certaines initiations ou retraites dévotionnelles (khalwa) pratiquées par des courants soufis, lislam en général dissuade plutôt de toute forme dascétisme de longue durée, comme de toute pénitence charnelle. Il nest donc pas faux de dire que le «renoncement à la chair» et au plaisir, propre à certaines tendances du christianisme ou des spiritualités orientales, est étranger à cette religion ; la vie monastique non exempte parfois de formes de mortification du corps a souvent été raillée par les auteurs musulmans, qui la considèrent comme contraire à la volonté divine. Pour ces auteurs, lislam suppose donc une reconnaissance pleine et entière du désir. Lamour (al-ishq) est une «condition naturelle» ; le seul vrai remède à la passion amoureuse reste la «consommation sexuelle» (dans un cadre codifié, évidemment). Mieux : le plaisir sexuel préserve lespèce et constitue une manifestation de la grâce divine(2). Tout le texte coranique peut être lu et médité comme une «louange au Créateur», une «ode à la beauté de ses créatures»(3). Aux antipodes
donc de la bigoterie et des imprécations furieuses de nombre
de fuqahâ actuels, qui entretiennent lillusion de
lui être absolument fidèles, Muhammad, le Prophète
de lislam lui-même modèle et exemple emblématique
par excellence pour tous les musulmans , navait, semble-t-il,
rien dune figure rigoriste et austère ; il navait
point prêché une religiosité de lexpiation
ou de lascèse(4). Et dans le Coran, les notions de culpabilité
et de péché sont pour ainsi dire inexistantes. La faute
originelle ny est point imputée à Eve, mais dune
part, à Satan (Shaytân), dautre part, à la
capacité de lhomme de faire du mal, encore quau regard
du principe de responsabilité, ce dernier, sil se repent,
peut être pardonné. Ainsi que le rapporte la Tradition,
le Prophète de lislam a très souvent fait montre
de magnanimité, daménité et de pardon devant
maintes situations où il devait trancher sur ces questions. Lart daimer : moralistes et poètes A côté des textes canoniques et du parcours prophétique, il existe, dans la culture arabo-musulmane, un imaginaire amoureux dune fabuleuse richesse(7). Un tel imaginaire sétait épanoui évidemment avant lislam, y compris chez les Arabes bédouins. Les Arabes nont-ils pas une centaine de noms pour dire lamour(8) ? Cest surtout pendant la période où lislam va connaître la prodigieuse expansion que lon connaît, devenant une civilisation essentiellement citadine, quune culture de la passion amoureuse, de la galanterie et de la séduction, du libertinage et de lérotisme va se déployer, notamment à travers la littérature romanesque et la poésie, mais aussi la jurisprudence ou léthique, voire la médecine. Il convient cependant ainsi que le rappelle Jamel Eddine Bencheikh de distinguer les uvres des moralistes de celles des poètes notamment. Les premiers ont essayé délaborer une éthique sexuelle destinée principalement à édifier le croyant, qui doit, dès lors, mener une «vie vertueuse». En particulier parce que la problématique du pouvoir était devenue cruciale dans un Dâr al-Islâm rapidement transformé en un vaste empire sétendant de lInde à lEspagne, ils tentèrent délaborer une morale permettant déviter que les Princes ne se laissent égarer par la passion amoureuse. La jubilation du «trop de sexe» engendre son contraire : langoisse de la «dissolution des murs», la peur de la négation des vertus élémentaires qui fondent la civilisation arabo-islamique. Ainsi, sil ny avait pas de péché de chair, les relations sexuelles furent cependant scrupuleusement codifiées. Les moralistes établirent notamment une distinction nette entre lunion licite (nikâh) et lunion illicite ou adultère (zinâ), interdit qui repose fondamentalement compte tenu des murs de lépoque sur le respect dû à la dignité de la femme et sur son égalité avec lhomme. Mais, à côté de cette éthique, a toujours existé une littérature libre et une poésie amoureuse. En particulier comme le rappelle fort opportunément Jamel Eddine Bencheikh , les notions de raffinement, damour courtois (dharf) contribuèrent à penser et à fonder de nouvelles formes de sociabilité et un art dexister, qui touchent aux rapports à soi et à autrui, au maniement du langage, à la définition des attitudes. Cest dans ce cadre que se développe très tôt un courant de poésie amoureuse, illustré notamment par luvre dun Ibn al-Ahnaf (m. en 808) et de plusieurs poètes andalous. La poésie mystique, en particulier, va se nourrir de cette inspiration profane originelle. Elle est dédiée à lEtre non présent. Vers Lui sélève notre âme, abandonnant le corps, dans un désir brûlant de se fondre dans Son essence supérieure. On retrouve, à propos de cette ivresse, lutilisation par les mystiques dodes bachiques profanes, dont le lexique et les symboles sont utilisés par un Al-Hallâj, supplicié en 922, lascète Ibn al-Fârid (m. en 1235) ou encore le grand mystique Ibn al-Arabî (m. en 1240)(9) Le statut de la femme Ainsi quon
la dit précédemment, la femme est omniprésente
dans la vie du Prophète ; il lui confie ses pensées, ses
tourments, ses projets, voire les déploiements mêmes de
sa prédication ce fut le cas en particulier pour la «mère
des musulmans» : Khadidja (m. en 619). Du temps du Prophète
et de ses Compagnons, les femmes jouaient un rôle social,
spirituel et politique considérable ; nombre dentre
elles assistaient, par exemple, aux assemblées délibératives
des musulmans, y compris du vivant du Prophète ; ce fut une période
de grande tolérance entre hommes et femmes, et de mixité,
y compris dans les lieux de culte(10). Avec la modernité ses promesses et ses innombrables et traumatisants échecs , la peur de lamour et du sexe (ou plutôt leur dévoiement) est à nouveau instrumentalisée, pour se muer invariablement en haine de la femme. Cette stigmatisation de la femme alliée à la thématique plus générale de dénonciation de la «dilution des murs», caractéristique supposée définir la dérive du monde moderne fait partie de la psychologie profonde du néofondamentaliste. Lintériorisation du sentiment de «menace» explique que les groupes néofondamentalistes phénomènes que lon peut évidemment observer dans toutes les religions et sociétés, pas seulement islamiques (militants extrémistes hindous, ultra-orthodoxes juifs, néofondamentalistes américains, intégristes catholiques en Europe, etc.(11)) soient parfois enclins à embrasser des interprétations pour le moins délirantes : si les valeurs sont à tel point minées, il doit y avoir une «conspiration» étrangère et/ou une «corruption» endogène du corps social. Le véritable facteur responsable de cette déliquescence en ce qui concerne les sociétés extra-occidentales du moins est «loccidentalisation du monde». On connaît par cur un tel «diagnostic», au moins depuis le célèbre Jalons sur la Route (Maâlim Fî al-Tarîq) de Sayyed Qotb : létat de «décadence morale» de la société occidentale sexpliquerait par le fait quelle nest plus dirigée par une vérité normative assurée, ni par un idéal spirituel transcendant. Dans une telle perspective, quil sagisse des fondamentalistes hindous, juifs, protestants, catholiques ou musulmans, tous voient dans loccidentalisation des élites une des sources principales de la crise de civilisation et du profond malaise identitaire. Prenant acte de la chute morale de la société occidentale et de sa profonde corruption des sociétés islamiques traditionnelles, les islamistes radicaux, eux, la jugent anti-musulmane (kufr). Dans une telle perspective, la femme cristallise les peurs et les ressentiments. Si donc, comme on la rappelé, léthique coranique et la prédication prophétique insistèrent très souvent sur légalité spirituelle des deux sexes, historiquement, ni les théologiens ni les jurisconsultes ni les responsables politiques nont majoritairement su inscrire cette égalité dans le droit, encore moins dans les faits. Au contraire, ils mirent laccent sur la «prééminence de lhomme» et imposèrent une vision étriquée de la «pudeur», de sorte que tout un imaginaire «machiste» et paternaliste qui, évidemment, existait bien avant lislam, dans des sociétés à la fois «segmentées», tribales et claniques, et «holistes» sest accentué, ouvrant la voie à la plupart des discriminations et humiliations actuelles. Refuser toute lecture essentialiste A dire vrai, la question de lémancipation de la femme au sens où nous lentendons aujourdhui na été posée clairement par aucune des grandes religions(12). Légalité moderne des droits, le contrôle des naissances, lavortement, le divorce nont été imposés aux Eglises que fort tardivement par diverses associations de femmes, à lissue de combats très anciens(13). De leur côté, les sociétés du vaste monde musulman sont loin dêtre restées insensibles à ces combats. Depuis les décolonisations au moins, elles ont à peu près toutes connu des évolutions pour ne pas dire des séismes importantes ayant débouché en maints endroits (même si on est très loin du compte) notamment sur : laccès des filles à léducation scolaire et universitaire, lélévation de lâge du mariage, le recul de la polygamie, la réduction du nombre denfants par femme en âge de féconder, la diffusion des moyens de contraception, etc. Dans le domaine politique, daucuns remarquent, à juste titre, quen terre dIslam, les femmes ont même réussi à obtenir le droit de vote en Turquie bien avant la France. Alors que le cas sest finalement, jusquà présent, assez peu présenté en Europe même (surtout latine), des femmes musulmanes ont déjà dirigé des gouvernements, comme au Pakistan (Benazir Bhutto), en Turquie (Tançu Ciller), en Indonésie (Megawati Sukarnoputri) ou au Bangladesh (Khaleda Zia face au leader féminin de lopposition Hassina Wajed). Il est hélas ! vrai quà chaque fois que les questions du Code familial ou de la condition des femmes ont été posées dans lespace public, des religieux conservateurs liés aux pouvoirs ou des militants néofondamentalistes contestataires ont tout fait, au nom de lislam, pour empêcher lévolution du droit et des mentalités. Mais, à côté des mouvements progressistes et laïques, des courants réformateurs (islâh) ont pu, eux aussi, invoquer une autre lecture de lislam pour justifier des choix qui étaient aux antipodes de ceux des conservateurs. Sur cette
question comme sur bien dautres («Islam et modernité»,
«Islam et laïcité», «Islam et démocratie»,
etc.) , il ne me semble donc pas judicieux dincriminer la
religion en général. Il convient bien plutôt danalyser
les sociétés concrètes avec leurs contradictions,
leurs dynamiques propres, leurs luttes, les multiples interprétations
et formes de pratiques religieuses quelles produisent, au lieu
de donner de lislam pris globalement limage univoque dune
religion prétendument intolérante et absolument incompatible
avec lémancipation des femmes et avec la modernité.
Les aspirations aux changements qui se sont toujours exprimées
en terre dIslam, les dynamiques profondément endogènes
et variées ainsi que la pluralité des projets et des points
de vue sur toutes les questions de société contredisent
cette vision erronée dune «culture islamique»
immuable, intangible, intemporelle, rétive à linnovation
et aux libertés. Au lieu denfermer lislam dans une
«spécificité» parfaitement abusive et de réprouver
en bloc ses valeurs religieuses, présentées de manière
abstraite et anhistorique, il convient de tenir compte des conditions
historiques et sociologiques délaboration des discours
et des pratiques religieuses, ainsi que des mécanismes dévolution,
complexes, multiples et changeants, auxquels ces sociétés
sont soumises au même titre que toutes les autres. Crise sociale et inhibition de lamour dans les sociétés contemporaines Si donc, comme on vient de le voir, le thème de lamour occupait dans la vaste littérature du Dâr al-Islâm une place de choix, celui-ci est loin dêtre omniprésent et visible dans la vie quotidienne actuelle. Au sein des sociétés musulmanes contemporaines, prises au piège des difficultés économiques, des malaises identitaires et de statuts réducteurs à légard des femmes, lamour, dans ses multiples facettes, semble être allé en déclinant, en sinhibant. On a limpression parfois quune chape de pudeur semble avoir couvert nombre de pays musulmans ravagés par lordre moral néofondamentaliste. Comme le remarque très pertinemment Abdelwahab Meddeb : «(Un des effets) de la réislamisation est visible à travers la transformation du corps social dans son rapport aux plaisirs et à la jouissance. La société islamique est passée dune tradition hédoniste, fondée sur lamour de la vie, à une réalité pudibonde, pleine de haine contre la sensualité. La pruderie est devenue critère de respectabilité. Pullulent dans les théâtres urbains les Tartuffe et autres bigots ou cagots. La ville aménage ses scènes pour ôter au corps ses droits, conséquence du ressentiment et de son enracinement dans les âmes des semi-lettrés qui sont légion. Les rues, rébarbatives en leur bâti neuf, négligentes, irrespectueuses de la fabuleuse mémoire architecturale, gagnent en laideur lorsquelles sont traversées par des corps balourds, coupé du souci de soi ; lesthétique se retira dès que fut abolie la séduction dans la relation entre les sexes. Lentretien de la beauté comme sa mise en valeur sont à leur tour forclos»(14). De son
côté, la sociologue marocaine Soumaya Naamane Guessous,
dans un article intitulé justement : «Lamour retenu»(15)
notait : «Il ma été rarement permis de voir
lamour sexprimer autour de moi. Je vois, ajoute-t-elle,
de très nombreux couples, mais je ne vois pas lamour».
Cet amour, qui se décèle notamment dans les regards, les
paroles (exprimer verbalement le sentiment amoureux) et les gestes de
tendresse, le contact avec lêtre aimé (se tenir la
main, se caresser
), on ne le voit que chez de très rares
couples. Evidemment, la crise socio-économique en particulier
celle du logement joue ici un rôle néfaste ; la
majorité des jeunes (célibataires ou en couple) sont des
infortunés ne disposant pas dun toit, dun refuge,
pour faire de leur amour platonique une union physique. Mais Soumaya
Naamane Guessous fait remarquer à partir des nombreuses
«confessions» dhommes et de femmes quelle a
pu interroger que même les couples légitimes qui
disposent dun foyer ne se touchent que dans le lit, lors du «devoir»
conjugal nocturne. Les règles de pudeur interdisent toute démonstration
extérieure de lamour. Ici, la frontière entre espace
privé et espace public est scrupuleusement délimitée.
Même pour exprimer verbalement les sentiments que lon ressent
vis-à-vis de lêtre aimé, le langage
en particulier les dialectes reste dune pauvreté
affligeante. A cause notamment de certains films égyptiens, tout
un vocabulaire amoureux est dévalorisé, tourné
en dérision ! Pourtant, le problème nest pas tant la religion en soi que la lecture quen font ceux qui, à tel ou tel moment de lhistoire, ont la charge de lélaborer, de linterpréter et de la diffuser, ainsi que leur aptitude aux évolutions. Le devenir de lislam nest nullement inscrit, une fois pour toutes, dans les débats doctrinaux des siècles passés, ni dans un déterminisme de type culturaliste. Ce devenir dépend bien plutôt des efforts que les musulmans, dans la diversité de leurs sensibilités, déploient pour maîtriser les contraintes et défis des temps présents et tracer leur propre chemin vers la modernité, notamment pour inscrire la différence et légalité des sexes dans lespace public, sous forme dégal accès à léducation, aux loisirs, à toutes les professions, et à la libre disposition de sa pensée et de son corps. Dune manière générale, légalité entre lhomme et la femme, mais aussi le passage à la démocratie sociale et politique, linstitution de la citoyenneté et la promotion de la laïcité sont tributaires de combats politiques et intellectuels menés par tous ceux et toutes celles et ils sont nombreux qui envisagent de concilier le riche héritage de leur civilisation avec les idéaux de progrès et de liberté. Abderrahim Lamchichi Retour vers le N°41 Notes
: * Per gentile concessione della rivista francese "Confluences Mèditerranèe n° 41 della primavera 2002, Editions L'Harmattan", Paris. ( torna su ) |
Numero
16
sicilynetwork.com la
tua pubblicità su
|